mercredi 2 avril 2008

NEW ORDER : Power, Corruption & Lies

LP, Factory records FAC 75, mai 1983

Que restait-il de Joy Division trois ans après le suicide de Ian Curtis ? Trois musiciens qui maniaient leur instrument avec peu pou prou la même vigueur et en donnant toujours l’impression de réinventer leur pratique (la basse de Peter Hook, le jeu de guitare minimaliste de Barney, ou la batterie hoquetante de Stephen Morris ne ressemblent à rien d’autre) et une certaine morosité, sensible sur des parties de claviers, des climats parfois lourds mais surtout sur les paroles. Mais New Order s’est rapidement éloigné de l’austérité de Joy Division pour œuvrer sur des rythmes progressivement plus enjoués et un usage de plus en plus marqué des machines. Blue Monday, publié en mars 1983, avait défini un nouveau territoire pour le groupe, sur lequel il passerait le reste de la décennie : sur un rythme disco perverti par la basse de Hook et les vocaux tristes de Barney Sumner, New Order inventait une nouvelle façon de fréquenter les dance floors et de dire les années 80.

Deux mois après le choc provoqué par le single qui fâcha le groupe avec une partie de leur public, Power, Corruption & Lies enfonce le clou en finesse et avec une incroyable classe. Ce deuxième album, produit comme Blue Monday par le groupe, qui s’était affranchi après son premier album de le tutelle de Martin Hannett, s’ouvre sur « Age on Consent ». Si les premières notes peuvent évoquer Joy Division, le morceau dérive rapidement vers une pop dansante qui deviendra la marque de fabrique du groupe. Au fil de l’album, trois types de morceaux se succèdent : de la pop doucement romantique (« Age Of Consent », « Leave Me Alone », « Your Silent Face »), du disco torturé (« Ultraviolence », « The Village », « 586 »), de l’électro aux climats oppressants (« We All Stand »). Les vocaux sombres et à peine chantés par Barney, ainsi que la place occupée par les machines dans l’architecture des morceaux confèrent à l’ensemble une cohésion unique et définissent un son que le groupe ne cessera d’explorer par la suite, une teinte gris-bleu métallique, qui ornera d’ailleurs toute la surface de leur quatrième album, Brotherhood, publié en 1986.

Pour l’heure, c’est une pochette magnifique de Peter Saville qui affirme à sa manière la singularité du groupe, pochette sur laquelle est reproduite une nature morte du peintre réaliste Fantin-Latour (Roses, 1890) uniquement « actualisée » par une succession de petits carrés ou rectangles de couleurs placés en haut à gauche de pochette, qui fonctionnent comme un alphabet codé. Le nom du groupe ou le titre de l’album ne sont pas mentionnés. Au dos, la pochette est vide de toute inscription ; on retrouve les formes géométriques colorées cette fois-ci assemblées en un cercle au centre. La pochette est par ailleurs découpés en deux parties et peut faire penser à une disquette souple d’ordinateur de l’époque. Saville a ici dit à la fois la musique du groupe, savant mélange de romantisme un peu surannée et de technologie et la puissante modernité du groupe dont les morceaux n’ont pas vieilli presque un quart de siècle plus tard, chose qu’on ne saurait dire de toutes les compositions des groupes qui s’abandonnaient à la même époque aux synthétiseurs. Peut-être tout simplement parce que New Order n’a jamais oublié de composer des morceaux avant de se soumettre aux machines.


A écouter également

  • Blue Monday (12’’, Factory records FAC 73, mars 1983)

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