jeudi 20 mars 2008

SPACEMEN 3 : The Perfect Prescription

LP, Glass records GLALP 026, septembre 1987

Fondés au début des années 1980 par Pete Kember et Jason Pierce (nés le même jour, en 1965), les Spacemen 3 n’ont eu de cesse, au fil de leur quatre albums studio, de créer une musique marquée par leur consommation hors du commun de drogues et leur volonté de créer une musique à la fois produite par leur état et propre à prolonger le voyage vers d’autres réalités. Le titre de leur album de demos publié en 1990, Taking Drugs To Make Music To Take Drugs To, pose le problème assez clairement. La dope est donc au cœur de leurs compositions, tant au niveau des lyrics (rien que les titres : « Take Me To The Other Side », « Ecstasy Symphony», « Feel So good », « Call The Doctor »…) que de la musique, construite autour d’accords répétés à l’envi sur des tempos au ralenti la plupart du temps. L’influence du Velvet Underground est manifeste sur ce deuxième album (le premier était marqué tout autant par les Stooges et le 13th Floor Elevators), celui des longs morceaux hypnotiques sur lequel Lou Reed posait une voix à la fois cassante et brumeuse. Hommage est rendu sur une « Ode To Street Hassle » au Lou des excès et des dérives urbaines. Mais c’est plutôt dans la capacité que se donne le groupe à bâtir des morceaux de cinq, six voire presque dix minutes sur des riens mélodiques, sur des rythmes rachitiques, jusqu’à la transe, qu’ils invoquent sans cesse le Velvet et un rock américain de la fin des années 60 marqué par les expérimentations chimiques.

Album de guitares en feedback, The Perfect Prescription est peut être l’album des Spacemen 3 qui propose les morceaux les plus richement orchestrés du groupe. « Transparent Radiation », lumineuse composition de Red Crayola, est ainsi magnifiée par des cordes et une guitare acoustique qui enveloppent les vocaux appliqué et portés très en avant de Kember. Des cuivres émergent des entrelacs de guitares et de vocaux sur « Feel So Good ». L’élécricité demeure reine –et l’influence des Stooges très nette sur « Take Me To The Other Side » ou « Things’ll Never Be The Same ») mais la tonalité presque acoustique de certains titres donnent à cet album une chaleur qui tranchent avec l’électricité brute émanant des compositions plus habituelles du groupe.

La difficulté de ce genre de projet est à de parvenir à ne pas perdre en route ses auditeurs, tant le risque de manque de recul critique est grand quand il s’agit de composer sous influence. Force est de constater que les Spacemen 3, superbement ignorés de leur vivant et raillés pour leur musique lorgnant de manière trop limpide vers le rock américain psychédélique des 60’s, ont su s’imposer avec le temps et deux de leurs albums au moins (The Perfect Prescription et Playing With Fire de 1989) sont aujourd’hui considérés comme des classiques des années 1880. Depuis, Kember est devenu Sonic Boom et produit aujourd’hui encore une musique toujours plus planante. Pierce est lui à l’origine de Spiritualized, auteur d’un chef d’œuvre en 1997 (Ladies & Gentlemen We Are Floating In Space) et de quelques albums hautement recommandables. Preuve que leur musique, ultra référencée et monomaniaque à souhait, avait malgré tout l’étoffe des belles réussites psychédéliques plus intemporelles qu’on ne le pensait en 1987.

Singles extraits de l’album

  • Transparent Radiation (12”, Glass records, GLAEP 108, juillet 1987)
  • Take Me To The Other Side (12”, Glass records GLAEP , juillet1988)

A écouter également

  • Performance (Live Amsterdam 6.2.1988, Lp, Glass records GLALP 30, juillet 1988)

jeudi 13 mars 2008

FELT : Me And A Monkey On The Moon

LP, Cherry Red / El records acme 24, novembre 1989

C’était la fin 1989, la décennie allait bientôt s’achever et Lawrence décidait de mettre un terme à l’existence de son groupe, qui venait de traverser les années 80 en laissant derrière lui dix albums et dix singles. La séparation du groupe était prévue, annoncée avant même la sortie du disque et même, à en croire Lawrence, dès la création du groupe. Un groupe qui resterait avant tout associé à la personnalité maladive et austère et à la voix de Lawrence, traînante et désabusée, cousine britannique de celle de Lou Reed comme de Tom Verlaine, véhicule de ses maux et de son mal-être, qu’il aura poussé au silence sur deux albums instrumentaux mais qui n’aura cessé de hanter la discographie du groupe. Après cinq albums chez Creation, Felt revenait dans le giron leur première maison de disques, Cherry Red pour cette ultime collection de titres. A court d’argent à ce moment là, Alan McGee avait annoncé au groupe qu’il ne pourrait financer ni sortir le disque avant le début des années 90. Or Lawrence souhaitait absolument en finir avec Felt en même temps qu’avec les années 80, probablement parce qu’il avait déjà en tête le projet ouvertement seventies et anti eighties Denim qui prendrait forme dès le début de la décennie suivante.

Si ce disque est donc censé clôturer l’aventure débutée quelques dix années plus tôt, force est de constater que Lawrence a jeté toutes ses forces dans la bataille et a conçu ici une sorte de résumé idéal de la carrière du groupe en même temps qu’un formidable champ du cygne. Le mal-être de Lawrence transpire encore ici à longueur de titres : seulement, entre récit archi cru d’une agression pédophile («Budgie Jacket»), désillusion amoureuse (« I Can’t Make Love To You Anymore »), dégoût de soi (« Get Out Off My Mirror »), le vocaliste n’aura sans doute jamais été aussi direct et son propos si autobiographique (l'excellent "Mobile Shack" est ainsi un résumé de l'avant et après Felt en trois strophes). Musicalement, le son n’a jamais été aussi riche et plein et on est parfois bien loin du dépouillement de la plupart des disques précédents. L’élargissement du groupe (composé de deux guitariste pour l’occasion) et la production de Adrian Borland a probablement apporté à la musique de Felt ce mélange de puissance et de lyrisme contenu et tout en tension qui traversait les disques de The Sound et qui convient parfaitement à la pop mélancolique de Lawrence. Les guitares se permettent même des envolées inattendues (« New Day Dawning ») et on entend çà et là des sonorités de pedal steel ou de claviers qui enrichissent la palette sonore du groupe sans que ce ne soit pourtant jamais autre chose que du Felt de bout en bout. Au final, Me And a Monkey On The Moon est probablement le disque le plus accessible du groupe, son plus réussi aussi, peut-être. Un de ceux en tout cas auquel on revient le plus fréquemment près de vingt ans après les faits et qui n’en finit pas de révéler ses richesses.

C’est le 19 décembre 1989 que Felt disparaîtra définitivement, au terme d’un ultime concert donné à Birmingham, la ville d’origine du groupe, et d’un dernier titre : « Ballad of The Band ». Cette ballade composée sur près de dix ans aura été totalement unique, foisonnante et son écho est encore perceptible.

Single extrait de l’album

  • Get Out Of My Mirror (7’’ flexi donné pour annoncé la sortie de l’album un mois avant sa sortie, Cherry Red / El G-PO F44)

A écouter également

  • Bubblegum Perfume, compilation des années Creation du groupe (1986-1988) (Creation CRE LP 069, avril 1990)

A lire

  • dossier Felt paru dans le numéro 6 de Magic Mushroom, hiver 1993, signé Christophe Basterra.

mardi 4 mars 2008

CAPTAIN SENSIBLE : Women & Captains First

LP, A&M AMLH 68548, septembre 1982
Chef d’oeuvre de psychédélisme à l’anglaise incroyablement méconnu (pour donner une idée de la chose, il n’en existe pas d’édition CD, sauf au Japon, depuis 2007…), Women & Captains First fait partie de ces disques que l’on emmènerait sans hésiter sur l’île déserte équipée de platine pour le vinyle et que l’on réécoute sans jamais se lasser de son charme. Pourquoi A&M (y a-t-il pire major ?) ignore-t-elle cet album pourtant essentiel ? Probablement à cause de ce Wot qui a assuré au Captain de quoi survivre jusqu’à la fin de ses jours mais qui a aussi condamné les onze autres morceaux de l’album à l’oubli. Certes il n’y a qu’un seul titre du calibre de Wot sur le disque (même si le riff de guitare ressemble un peu à celui de Gimme A Uniform) ; était-il d’ailleurs possible de rééditer l’exploit d’imposer un rap groggy aux paroles parfaitement stupides sur les ondes de l’Europe entière ? Mais c’est le reste qui est justement ici le plus intéressant. On se doutait bien en écoutant les albums les plus réussis des Damned (Machine Gun Etiquette,1979 ou encore le Black Album de 1980) de l’influence de la musique psychédélique anglaise des années 60 sur le groupe et sur son guitariste en particulier ; elle est ici manifeste et irradie cet album d’allure assez baroque, entre les intonations Barrettiennes (A Nice Cup of Tea, Who Is Melody Lee, Sid ?), les titres de comédies musicales des 40’s-50’s (Happy Talk, Nobody’s Sweetheart Now), les développements répétitifs (Brenda part 1 & 2, Croydon), les effets de collage, l’instrumentation fragile et délicate, les hymnes à une Angleterre de carte postale (Croydon), le non sens des paroles et du Captain lui-même… le tout disséminé en parties égales sur chaque face du disque.
Mais c’est avant tout la qualité des compositions des morceaux qui fait de cet album un classique à placer à côté de tous les maîtres du genre, de Syd Barrett comme de Julian Cope, de Kevin Ayers comme des Soft Boys de Robyn Hitchcock -qui joue de la guitare douze cordes sur Brenda- des Television Personalities, des Monochrome Set ou des Mabuses. Sensible fait montre d’une finesse d’écriture qui surprendra peut être ceux qui ne connaissent du bonhomme que Wot et des titres comme Brenda, Martha The Mouth ou Croydon révèlent même une capacité plutôt insoupçonnée à écrire des merveilles pop finement ciselées et ultra sensibles (pléonasme). Si l’amuseur cherche à occuper toute la place, le Captain est un doux romantique qui donne à l’idée de disque solo son vrai sens et à qui cette musique tout en douze cordes soyeuses et en synthés clochettes convient tout particulièrement lorsqu’il se fait introspectif.
Enregistré au printemps 1982, quelques mois avant le Strawberries des Damned, cet album allait pousser Sensible hors du groupe : il connaîtrait un hit single en Angleterre avec Happy Talk puis en Europe avec Wot et trouverait bientôt sa place trop étroite dans le line-up du groupe. En 1984, il quittera les Damned qui seront dès lors la chose de Dave Vanian pour le meilleur et pour le pire. Le Captain poursuivra lui sa carrière solo sans jamais retrouver le succès ni la constance dans l’excellence atteinte ici. Qu’importe : il suffit de ce Women & Captains First pour savoir que derrière les grimaces du Capitaine Sensé se cache un songwriter hors pair.
Singles extraits de l’album
  • Happy Talk (7” & 12”, A&M CAP 1, juin 1982)
  • Wot (7” & 12”, A&M CAP 2, août 1982
  • Croydon (7”, A&M CAP 3, octobre 1982)