vendredi 28 décembre 2007

THROWING MUSES : Throwing Muses (Untitled)

LP, 4AD CAD 607, août 1986

Précipité de rage adolescente s'il en est, le premier album des Throwing Muses frappe aujourd'hui encore par sa richesse, sa puissance, son incroyable densité. Or, si ce premier album est en lui-même exceptionnel, en tant que premier album entre autres, il est souvent évoqué comme le début d'aventures marquantes de la fin des 80's : les Muses furent le premier groupe américain signé par le label anglais 4AD, jusqu'alors fermement ancré dans le post punk anglais. Hersh et Donelly profiteront de leur arrivée au sein du label pour donner à son boss une cassette d'un groupe ami de Boston, les Pixies. Leur premier EP sera publié quelques mois plus tard. Quant à la production de l'album éponyme (ou sans titre, c'est selon) des Muses, c'est le britannique Gil Norton, qui en est chargé. Son nom, jusqu'alors quasi inconnu, reviendra de plus en plus fréquemment dans les années qui suivront, avec les Pixies, Echo & the Bunnymen ou James.

Qu'il nous soit permis pourtant de ne pas considérer uniquement ou principalement cet album sous l'angle de son importance historique. Il demeure, après plus de 20 ans d'écoutes, bien plus qu’une borne : le témoignage unique d'une adolescence qui n'en finit pas de finir et d'agoniser dans un corps qui se débat.

Ecrit et composé par Kristin Hersh -sauf « Green » que signe sa demi-soeur Tanya Donelly- ce disque est musicalement l'oeuvre de jeunes filles de 20 ans qui ont digéré de manière surprenante leurs influences folk (les parents étaient hippies) et punk pour servir des textes essentiellement marqués par la colère et le mal être. Les Muses proposent donc un folk punk qui ne serait pas sans rappeler les Violent Femmes sans l'emploi quasi exclusif de l'électricité et la savante déconstruction de toute linéarité, la notion de couplet /refrain n'ayant pas de sens dans la plupart des morceaux. Ceux-ci sont pour l'essentiel bâtis sur des ruptures rythmiques, de brusques changements de tempo. La plupart des titres ont ainsi plusieurs facettes, au fil desquelles dialoguent les guitares et la batterie multiforme de David Narcizo, facettes qui épousent les contorsions vocales de Hersh.
Car Kristin Hersh hoquette, feule, râle, chante parfois des "here i am, what a loser, waiting for yers to go by", "I hate my way", "I have a gun in my head, i'm invisible" qui traduisent de manière rêche mais particulièrement expressive les désarrois d’une adolescence américaine mais aussi les hallucinations auxquelles Hersh était sujette. Des propos comme « I’m in bed, i’m asleep, i’m a mess » (“America (She Can’t Say No)”) ou “So I sit up late in the morning / And ask myself again / How do they kill children? / And why do I want to die?” (« Hate My Way”) rendent assez bien compte du parfum de peur nocturne, de terreur qui plane souvent sur ces dix titres dont on imagine qu'ils ont dû longtemps hanter leur auteur avant d'être enregistrés.

Elle avouera lors de la publication de In A Doghouse (voir ci-dessous) que les Throwing Muses ont sauvé -au sens littéral- sa vie. Album exorcisme, donc, qui s’achève par un « opening the doors » qui semble indiquer une issue ? Peut-être, mais Hersh affirme dans un même élan que ce qu’elle dit aurait pu l’être par d’autres qu’elles, « nos amies, nos sœurs ou nos mères ». C’est aussi ce qui fait la force de cet album à la fois terriblement personnel et universel à l’occasion. La portée des morceaux dépasse très largement l’exposition des troubles de Hersh et quiconque s’y sera frotté saura se souvenir de ce que « tourmenté », « bouleversant » ou «émotions brutes », vieilles scies de la critique, signifient vraiment.
Et on aura beau jeu de dire que jamais les Throwing Muses n'auront été aussi impressionnantes par la suite : être Kristin Hersh au début des années 80 devait être à la fois très banal et absolument terrifiant.

A écouter également

  • In A Doghouse (l'album + le EP Chains Changed + les démos de 1985 sur 2 cd - 4AD DAD 607, 1998)

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