samedi 8 décembre 2007

JULIAN COPE : Fried

LP, Mercury Merl 48, novembre 1984

Fried
est d’abord un mouvement, un glissement sensible sur les trois premiers morceaux : de « Reynard The Fox » à « Laughing Boy », l’auditeur est entraîné d’un rock psychédélique essentiellement bâti autour d’un riff lourd pro Black Sabbath à une vignette délicate, presque acoustique, tenant à la fois de Tim Buckley et de Syd Barrett dans son approche et dans son propos. Le premier album solo de Julian Cope a été un échec et son état psychique, déjà passablement mis à l’épreuve à la fin de la période Teardrop Explodes est encore émoussé. Il vit quasiment reclus à Tamworth, uniquement entouré de son frère, de celle qui devient alors son épouse et de très rares amis. Paranoïa, manque de confiance, isolement et dépression ne l’empêchent pas d’avoir une vision assez précise du successeur de World Shut Your Mouth, publié en février 1984. Dès l’été suivant, Cope a décidé que son prochain album se nommerait Fried, un surnom inventé par sa femme pour décrire son état mental, et que cet album serait une collection de morceaux très simples, presque « pastoraux » selon ses propres termes. Il fait à cette époque la rencontre d’une jeune guitariste de 18 ans, Donald Skinner, qui sera cruciale : non seulement il deviendra l’un des principaux collaborateurs de Cope durant les années à venir (il est d’ailleurs présent sur son dernier enregistrement en date, You Gotta Problem With Me, Head Heritage, 2007) mais il contribuera également de manière décisive à l’élaboration de ce son limpide, minéral recherché pour Fried.

Les morceaux, enregistrés par Steve Lovell à Cambridge (Spaceward studios) durant l’été, sont en effet largement marqués par une volonté de donner une forme presque folk à des morceaux dans lesquels il sera avant tout questions des préoccupations que lui imposait son état psychologique. Des titres comme “Me Singing”, “O King Of Chaos”, “Bill Drummond Said” (règlement de compte avec le manager des Teardrop Explodes) mais aussi les paroles de “Reynard the Fox” (And they said your time is over / I don't see any gallant calls /I don't see an inch of reflex /'cept to leave me bleeding / Bleeding, bleeding, bleeding /I'm fried, fried, ticking in the side /Body twitched from side to side…) reflètent assez précisément l’état de santé mentale de leur auteur. Le séjour à Cambridge sera aussi l’occasion pour Cope d’acheter cette carapace de tortue géante sous laquelle il se cache sur la pochette. « Namdam am I, I’m a madman » affirme-t-il sur la pochette intérieure…

Très finement mis en musique, souvent interprétés avec une voix sans fard et poussé dans ses extrémités (Julian Cope enregistra les vocaux nu…), les dix titres de cet album composent un ensemble d’une grande intensité. Les échos de flûte, de hautbois, de sons inversés, le piano martelé de « O King Of Chaos » colorent l’ensemble de fines touches psychédéliques, un psychédélisme à l'anglaise qui n'est parfois pas sans rappeler Robert Wyatt. Mais c’est avant tout un album de magnifiques chansons qui s’imposent, à l’écriture dépouillée et à l’interprétation bouleversante de bout en bout, ne versant jamais dans l’auto apitoiement. L’auditeur n’est ainsi jamais mis en position de voyeur ; Cope transcende ses dérèglements pour créer un album sensible et souvent touché par la grâce.

L’album fut enregistré en grande partie sans avoir averti la maison de disques, principalement grâce au manager de Cope à cette époque, qui put l’imposer (tout comme la pochette) grâce au succès de Tears For Fears (!), dont il s’occupait également pour Mercury / Phonogram, succès qui lui donnait un peu de liberté pour mener à bien des projets plus ambitieux. Mais la maison de disques n’en fera pas plus et la réception sera calamiteuse, tant dans la presse que dans le commerce. Il n’en demeure pas moins, plus de vingt ans après, un album toujours chéri par son auteur et par tous ceux qui l’ont entendu et ont pu y trouver un écho à certaines de leurs affections.


single extrait de l'album

  • Sunspots ( double 7" single pack, Mercury MER 1822, février 1985)
(une belle critique ici: http://vivonzeureux.blogspot.com/search?q=julian+cope )


à écouter également

  • Floored Genius 2 Best of The BBC sessions 1983-91 (CD, Nightracks / BBC, 1993)

à lire / à voir

  • Julian Cope: Repossessed – Shamanic depressions in Tamworth & London (1983-89), Thorsons, 1999.

2 commentaires:

Pol Dodu a dit…

Bonjour,
J'ai appris pas mal de choses sur cet album que j'aime beaucoup en lisant ton billet.
Pour répondre à ton commentaire sur Blogonzeureux!, tu peux évidemment faire tous les liens que tu veux vers mon blog, ils sont les bienvenus !!

Hectorvadair a dit…

Belle note sur un album culte. Et merci pour ton commentaire.
Evidemment que tu peux faire un lien sur action-time.
Soyons fous !!