lundi 21 avril 2008

ECHO & THE BUNNYMEN : Heaven Up Here

LP, Korova KODE 3, mai 1981

Liverpool une fois encore, mais avec les Bunnymen, l’un des groupes les plus marquants de la décennie tant par la force et l’originalité de sa musique que par l’irréprochable tenue de ses enregistrements pendant les 5 premières années de son existence. A l’heure de choisir un album parmi les quatre publiés par le groupe entre juillet 1980 (Crocodiles) et mai 1984 (Ocean Rain), il est difficile de dire lequel affirme la singularité des hommes lapins. Heaven Up Here, deuxième long player, est le plus sombre des quatre. La musique des Bunnymen, basée sur une rythmique énergique et répétitive d’une grande inventivité et des jets de guitares tranchants sur lesquels se pose tant bien que mal la voix chaude et traînante de Mc Culloch trouve sur cet album une sorte de plénitude, aboutissement du travail accompli par le groupe depuis une quinzaine de mois. L’influence conjuguée de garage rock américain des années 60 et des ambiances psychédéliques des Doors est sur cet album parfaitement maîtrisée. Elle permet au groupe de mettre en place un climat hypnotique et étouffant d’une grande originalité, toile de fond parfaite à l'expression d'un spleen existentiel propre aux années 80.

« Over The Wall », « A Promise », «All My Colours, les morceaux les plus forts du disque donnent le ton d’un disque dont rend bien compte la pochette « magritienne » qui signale tout à la fois une ambiance crépusculaire et de lointains horizons, une grande solitude et un élan collectif. Sur quelques accords de guitares comme sur des roulements de tambours, la voix de Ian Mc Culloch semble le plus souvent à l’agonie : « My Life’s a disease, that could always change, with comparative ease… (« The Disease ») / I can't sleep at night, Come on and hold me tight...Hold me tight, To the logical limit... (“Over The Wall”). Même un titre qui pourrait marquer un apaisement, “A Promise”, dont les parties de guitare très lyriques tranchent avec le reste des morceaux, procure une sensation de malaise : Mc Culloch semble pousser sa voix aussi loin qu’il le peut et il avouera lui-même plus tard que ce morceau peut être considéré comme « le plus triste du monde ». Tout au long de l’album, c’est dans un climat sombre et opaque que s’épanche un Mc Culloch qui n’a peut-être jamais été aussi à vif, aussi direct -en dépit de paroles souvent très obscures – qu’ici, se débattant par exemple avec des idées aussi peu pop que l’honnêteté vis-à-vis de soi-même sur plusieurs morceaux. S‘ils ne peuvent être comparés aux textes de Ian Curtis, à la fois plus sombres et beaucoup plus romantiques, on retrouve parfois ce sentiment de perte, de malheur sous-jacent qui nimbait les morceaux de Joy Divison. Le groupe se reprochera par la suite un « manque d’humour » à propos cet album. C’est au contraire son unité de ton qui lui donne sa force. Sur scène, à cette époque, les Bunnymen jouaient en habits de camouflage derrière d’épais rideaux de fumées ; on les devine ainsi à l’écoute de ces onze titres qui ne vieillissent pas les uns à côté des autres. Et même s’il est l’album le moins vendu de l’histoire du groupe –peut être parce qu’il ne proposait aucun titre viable pour les charts, il n’en demeure pas moins le plus puissant, musicalement comme émotionnellement.

Single extrait de l’album

  • A Promise (7” & 12”, Korova KOW 15, juillet 1981)

A écouter également

  • John Peel session, BBC, 4 novembre 1980 (4 titres de Heaven up Here avant le travail en studio)
  • Shine So Hard (live in Buxton, 10 avril 1981 - 12”, Korova ECHO 1, avril 1981)

A lire

  • Never Stop – The Echo & The Bunnymen story, de Tony Fletcher (Omnibus press, 1987)

vendredi 18 avril 2008

THE PALE FOUNTAINS : Pacific Street

LP, Virgin V2274, février 1984

Il serait tentant de réduire les Pale Fountains à l’étiquette de Smiths de Liverpool : les guitares limpides et dynamiques comme la voix claire et haut perchée de Michael Head ne sont pas sans évoquer les mancunians (c’est particulièrement sensible sur le début de « Reach », qui ouvre l’album) mais la palette de sons et d’instruments présents sur ce premier album placent les Fountains bien loin devant Morrissey & Marr, au moins à cette époque.

Virgin, qui avait mis le paquet pour signer le groupe après leur premier single paru en 1982 (Something On My Mind, dont une nouvelle version est proposée ici) a donné les moyens à la pop colorée de Michael Head de livrer tout son potentiel. Le groupe a eu beaucoup de temps pour mener à bien ce disque et aux instruments de ses membres (guitares, trompette, claviers, basse, percussions, batterie, oil drums tout de même…) sont venus s’ajouter flûte et cordes. La grande force du groupe de son producteur Howard Gray est d’avoir réussi à ne pas sombrer dans l’excès : rien ici n’est boursouflé ou noyé sous les couches d’instruments. L’écriture légère, gracieuse de Michael Head est simplement enrichie par de fines touches d’une grâce absolue. Head n’est âgé que de 22 ans quand sort cet album mais il semble maîtriser l’écriture et l’art d’arranger des merveilles pop comme un vieux briscard.

Une coloration très sixties donne à cet album son unité qui s’impose pourtant à la première écoute par la variété des sons et des rythmes (on passe allègrement d’un rythme bossa à de la pop psychédélique). L’influence de Love saute aux oreilles, ne serait-ce par l’emploi de trompettes hispanisantes. Elle n’est pas la seule : ce sont les Mamas And Papas qui semblent s’inviter dans les années 80 sur « Southband Excursion »… qui précède un rhythm and blues qui paraît lui aussi venir d’une autre période («Natural»). Pour autant, les compositions ne sont en rien de pales copies des originaux : Head a fait siennes ses influences et pour décalées qu’elles soient en ce début d’années 80 où les expérimentations synthétiques et la rage froide du post punk avaient plus le vent en poupe que les sonorités exotiques ou les passages instrumentaux à la trompettes ou à la guitare acoustique, ses compositions n’en sont pas moins de leur époque. Dans un monde plus juste et plus soucieux de se faire du bien, le single Don’t let Your Love Start A War aurait dû avoir un succès monumental, « Something On My Mind » aurait dû se voir proposer une nouvelle sortie en simple et monter lui aussi bien haut dans les classements ; les lyrics doucement romantiques de Michael Head et la richesse des compositions et des arrangements auraient alors pu se dévoiler, au fil des écoutes, à un public sans cesse plus large. Il n’en a pas été ainsi et Pacific Street appartient plus à la catégorie des trésors cachés qu’à celle des disques qui ont bouleversé le cours de la décennie. Il n’en demeure pas moins que c’est un chef d’œuvre qui n’en finit pas de se révéler et qu’il ne serait guère surprenant qu’on dise enfin, un jour, son incroyable qualité. Combien de temps a-t-il fallu avant que l’on reconnaisse un Nick Drake ou un Chris Bell ? Et en plus, Michael Head est toujours vivant…

Singles extraits de l’album

  • Unless (7” & 12”, Virgin VS 568, janvier 1984)
  • Don’t Let Your Love Start A War (7” & 12”, Virgin VS 668, mars 1984)

A écouter également

  • Arthur Lee live in Liverpool 1992 ( Michael et John Head ont, presque dix ans après Pacific Street, accompagné Arthur Lee, le charismatique chanteur le Love, sur scène. Ce disque est l’enregistrement du concert donné à Liverpool en mai 1992- cd, Viper cd 003, 2000)

vendredi 11 avril 2008

POLYPHONIC SIZE : Vivre pour chaque instant

LP, Sandwich records SR 14 / New Rose ROSE 12, septembre 1982

Quatre lignes de crédits ornent chaque côté de la pochette de l’édition française de Vivre pour chaque instant, une face en français l’autre en anglais ; de ces quatre lignes émerge un nom, en gras : Jean-Jacques Burnel. Le bassiste des Stranglers, ici producteur très actif et lead singer sur un titre, a imposé, sur son seul nom, cet album d’un groupe belge qui serait probablement resté beaucoup plus confidentiel sans son implication. Il s’est également taillé une part de lion sur ce disque, enregistré au début de l’année 1982 en Belgique, où il a très largement dépassé son rôle de réalisateur artistique.

Or que découvrait le fan des Stranglers avide de nouveautés ? Un disque essentiellement synthétique, fait de boîte à rythmes et de synthétiseurs seventies, au sein duquel se cachent ça et là des refrains pop imparables. Rares sont les morceaux qui évoquent les hommes en noirs –dont les membres de Polyphonic Size étaient avant tout des admirateurs. C’est tout juste si l’on peut citer « King of Hong-Kong », qui n’est pas sans rappeler les expérimentations des Stranglers de la période MeninBlack. Mais c’est plutôt dans le Kraftwerk de Trans Europe Express que semble se trouver la matrice des compositions de Roger-Marc Vandevoorde. Sur « Action Man », ce sont les rythmes primitifs et rugueux de Suicide qui s’imposent. On pense également, bien sûr, à toute cette vague de groupes français de la fin des années septante, ces jeunes gens modernes qui bricolaient de la pop avec des synthés à deux sous : Taxi Girl, Jacno…

D’autant que l’une des vraies forces du groupe est d’avoir imposé à cette musique qui se voulaient avant toute européenne des paroles en français qui refusaient à la fois la pose romantique ou l’infantilisme punk. C’est Dominique Buxin, qui ne fait pas partie du groupe, qui compose tous les textes, savant mélange de provocation (« Action Man »), de déclarations obliques (« Je t’ai toujours aimée »), de jeux de mots et de langue inédits (« En fait, mes affronts t’effraient ma fée / (…) Mens sana dans un corps de salauds », sur « Night Is Coming On »), de modernité trash (« Rendez-vous », « NBC GmBH », « Le temps du swing »). Malgré les apparences, ce n’est pas tant à Gainsbourg que l’on pense qu’à un Boris Vian qui aurait épousé la cause punk pour ajouter à son humour noir et à son pessimisme une dose savante de provocation (« Plus je suis bourré / Plus je suis anar / La société, tous des connards / Quand je suis retapé / Je range le bazar / Et je vais danser / La danse des canards », « Action Man »). Buxin prouvait, avec d’autres à la même période (Daniel Darc, puisque nous avons déjà évoqué Taxi Girl), que faire du rock en français pouvait avoir du sens.

L’autre force de Vivre pour chaque instant, c’est le sens de la mélodie de Roger-Marc. Les titres publiés en single, pour ne citer qu’eux, ont cette évidence qui leur permet de traverser le temps et de ne pas restercollées à ce début d’années 80 dans lesquelles pourraient facilement les engluer leurs synthétiseurs. Non, Polyphonic Size ne pourra jamais être confondu avec Partenaire Particulier : ces derniers n’ont pas été produit par un Stranglers, ils ne connaissent probablement de Kraftwerk que la-musique-qui-servait-de-générique-sur-Europe1-quand –j’étais-gamin, ils ne sortaient pas leurs disques sur le plus impeccables des labels français de l’époque… Et à moins que je me trompe, ils ne passaient pas à la télévision française en chantant : « avant de perde la face / Et de m’éteindre comme un vieux mégot / Mon tout dernier regard / Se portera sur tes fesses / Où je cachais chaque nuit / Le plus précieux de mon magot… »…

Singles extraits de l’album

  • Winston & Julia / Mother’s Little Helper (7” single, New Rose NEW 10, septembre 1982)
  • Je t’ai toujours aimée (7” single, New Rose NEW 13, décembre 1982)
  • Night Is Coming On (7” single, Sandwich records SR 23, février 1983)

A écouter également

  • la version de « Je t’ai toujours aimée » de Dominique A sur son album Auguri (Labels, 2001)

mercredi 2 avril 2008

NEW ORDER : Power, Corruption & Lies

LP, Factory records FAC 75, mai 1983

Que restait-il de Joy Division trois ans après le suicide de Ian Curtis ? Trois musiciens qui maniaient leur instrument avec peu pou prou la même vigueur et en donnant toujours l’impression de réinventer leur pratique (la basse de Peter Hook, le jeu de guitare minimaliste de Barney, ou la batterie hoquetante de Stephen Morris ne ressemblent à rien d’autre) et une certaine morosité, sensible sur des parties de claviers, des climats parfois lourds mais surtout sur les paroles. Mais New Order s’est rapidement éloigné de l’austérité de Joy Division pour œuvrer sur des rythmes progressivement plus enjoués et un usage de plus en plus marqué des machines. Blue Monday, publié en mars 1983, avait défini un nouveau territoire pour le groupe, sur lequel il passerait le reste de la décennie : sur un rythme disco perverti par la basse de Hook et les vocaux tristes de Barney Sumner, New Order inventait une nouvelle façon de fréquenter les dance floors et de dire les années 80.

Deux mois après le choc provoqué par le single qui fâcha le groupe avec une partie de leur public, Power, Corruption & Lies enfonce le clou en finesse et avec une incroyable classe. Ce deuxième album, produit comme Blue Monday par le groupe, qui s’était affranchi après son premier album de le tutelle de Martin Hannett, s’ouvre sur « Age on Consent ». Si les premières notes peuvent évoquer Joy Division, le morceau dérive rapidement vers une pop dansante qui deviendra la marque de fabrique du groupe. Au fil de l’album, trois types de morceaux se succèdent : de la pop doucement romantique (« Age Of Consent », « Leave Me Alone », « Your Silent Face »), du disco torturé (« Ultraviolence », « The Village », « 586 »), de l’électro aux climats oppressants (« We All Stand »). Les vocaux sombres et à peine chantés par Barney, ainsi que la place occupée par les machines dans l’architecture des morceaux confèrent à l’ensemble une cohésion unique et définissent un son que le groupe ne cessera d’explorer par la suite, une teinte gris-bleu métallique, qui ornera d’ailleurs toute la surface de leur quatrième album, Brotherhood, publié en 1986.

Pour l’heure, c’est une pochette magnifique de Peter Saville qui affirme à sa manière la singularité du groupe, pochette sur laquelle est reproduite une nature morte du peintre réaliste Fantin-Latour (Roses, 1890) uniquement « actualisée » par une succession de petits carrés ou rectangles de couleurs placés en haut à gauche de pochette, qui fonctionnent comme un alphabet codé. Le nom du groupe ou le titre de l’album ne sont pas mentionnés. Au dos, la pochette est vide de toute inscription ; on retrouve les formes géométriques colorées cette fois-ci assemblées en un cercle au centre. La pochette est par ailleurs découpés en deux parties et peut faire penser à une disquette souple d’ordinateur de l’époque. Saville a ici dit à la fois la musique du groupe, savant mélange de romantisme un peu surannée et de technologie et la puissante modernité du groupe dont les morceaux n’ont pas vieilli presque un quart de siècle plus tard, chose qu’on ne saurait dire de toutes les compositions des groupes qui s’abandonnaient à la même époque aux synthétiseurs. Peut-être tout simplement parce que New Order n’a jamais oublié de composer des morceaux avant de se soumettre aux machines.


A écouter également

  • Blue Monday (12’’, Factory records FAC 73, mars 1983)