mercredi 20 février 2008

THE CRAMPS : Psychedelic jungle

LP, I.R.S. SP 70016, avril1981

Les Cramps incarnèrent pour beaucoup un univers totalement nouveau, inédit, qui avait un goût de transgression : entre leurs dégaines d’acteurs de films de série Z des années 50, leurs pochettes qu’on pourrait qualifier de sexy si elles n’étaient pas si lourdement ancrées dans des codes fantasmatiques de bazar archi codés et le rockabilly psychédélique qu’ils proposaient à longueur d’albums, ils n’avaient rien –ou tout ?- pour attirer les oreilles façonnées à l’austérité post punk du début des années 1980. Et s’ils les attirèrent d’abord, c’est souvent pour ce côté Barnum kitch qui paraissait primordial chez eux. Ecoutait-on réellement la musique pour ce qu’elle était ou pour les performances vocales de Lux Interior et les récits souvent épiques (et déculottés) des concerts du groupe ?

C’est pourtant sur la musique qu’il faudrait s’arrêter, sur ce rockabilly sciemment ralenti, comme purgé de ses hoquets originels pour devenir des transes particulièrement suggestives. Les Cramps sont des collectionneurs avant d’être des musiciens et leurs disques ressemblent à des juke-boxes idéaux, façonnés autour de quelques règles d’écriture et d’interprétations dont ils ne dérogent guère depuis leurs débuts. Ainsi Psychedelic Jungle, deuxième album du groupe, est-il un savant et très équilibré mélange de reprises de titres glanés sur des quarante-cinq tours sortis durant la deuxième moitié des années 50 (« Green Fuz » de Ronnie Cook & The Gaylads, « Primitive » des Groupies, « Green Door » de Jim Lowe… si les noms vous disent quelque chose) et de composition du groupe (de Lux et de sa compagne Ivy, plus précisément) au diapason. Leur recette, c’est d’avoir passé ce rock antédiluvien dans une moulinette psychédélique qu’ils ont eux-mêmes élaborée, s’inspirant de tout ce que le punk rock américain (des 60’s comme des 70’s) avait apporté de meilleur. Concrètement, la structure de morceaux demeure fidèle à l’esprit du rock des origines, mais les tempos sont souvent lourds, le jeu de batterie réduit au minimum et imposant une sorte de torpeur sur tout le disque, la réverbération des accords de guitare poussée à l’extrême, le son sale, les vocaux volontiers dans l’outrance ou du moins dans le théâtral. « The city is a jungle and i am a beast »… Mais par une sorte de magie, les Cramps n’en font jamais trop trop, quand bien même Lux glousse, hulule, piaille, grogne ou roucoule à longueur de titres.

Cette réappropriation de pans entiers de la culture rock va de pair avec la fascination de Lux et Ivy pour la trash culture américaine. Comme ils l’expliquent à Philippe Garnier en 1981, ils peuvent être considérés comme des sortes de Kinks américains, qui ne peuvent être fascinés et dominés par la nostalgie d’un Village Green qui n’a jamais existé aux Etats-Unis mais par cette culture de mauvais goût jetable qui a envahi la vie des américains dans les années cinquante. Les lyrics sont ainsi peuplés de créatures et de scènes pompés de films ou de séries les plus bas de gamme des 50’s, teintés d’un psychédélisme sensible dès que l’œil se pose sur la pochette. La jungle trash décrite par le biais d’un fish œil qui ne donne à voir de l’univers du groupe qu’une image à la fois grotesque et fascinante, mélange de mauvais goût et d’éclats poétiques inattendus.

« I am a garbageman » chantait Lux dans un de leurs premiers titres ; c’est bien de cela dont il est question dans tous leurs disques : les Cramps ont fouillé les poubelles de leur histoire, et c’est un formidable condensé de l’histoire d’une Amérique parallèle qui nous est contée.


single extrait de l’album

  • Goo Goo Muck (7”single, I.R.S. IR9021, mai 1981)

à lire également

  • l’article de Philippe Garnier publié dans le numéro 173 de rock & Folk (juin 1981)

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