Jad Wio ou l’art du mix. En 1985, lorsqu’ils publient ce premier (mini) LP sur l’impeccable label havrais de Yann Farcy, Kbye et Bortek surprennent et se distinguent par leur capacité à créer un rock bigarré, produit de multiples influences que l’on n’imaginait pas forcément conciliables. Jad Wio, tout d’abord, c’est l’Orient et l’Occident. Leurs compositions fortement influencées par le rock américain de la fin des sixties (nous y reviendrons) sont ainsi discrètement teintées de touches arabisantes (le refrain de « Taiba » mais aussi les intonations de Bortek). L’anglais et l’arabe, donc, enregistrés et mixés à Paris en février 1985. Les deux membres du groupe ont passé une dizaine d’années au Maghreb où ils se sont rencontrés, et « Taiba » rend compte du choc des cultures : « taiba wa safara wa hallah khamulilah…. » sur fond de guitares électrisées. Comme un fait exprès, c’est sur la reprise du "Paint in Black" des Stones que la double influence est plus lisible encore : les guitares de Kbye semblent reprendre les choses là où Brian Jones les avaient laissées lors de son passage parmi les musiciens marocains du Joujouka. Pour autant, leur Orient au goût d'opium est largement fantasmatique, tel celui qu’on put rêver les artistes du XIXème siècle, comme le suggère la pochette du disque.
Jad Wio, c’est aussi la confrontation du meilleur de la musique des sixties (le garage rock et le rock psychédélique) aux sonorités des années 80. Derrière les vocaux de Bortek, les titres ultra référencés (« Colours in My Dreams », « Walk In The Sky With Diamonds »…) et les guitares acérées et tourbillonnantes de Kbye, c’est une rythmique ouvertement synthétique qui officie. « There are no synthetisers on this record » proclament-ils, néanmoins, fièrement sur la pochette intérieure du disque ; certes : ce sont ces guitares très en avant qui définissent le son de Jad Wio. Les fixations psychédéliques particulièrement sensibles à l’écoute des paroles sont elles passées à la moulinette énergisante punk. Au final, les cinq titres de ce mini album sont un condensé de goûts sûrs, d’élégance et le disque dégage une force qui est restée intacte avec les années. Jad Wio était un duo et l’une de leur très bonne idée est d’avoir sans cesse affirmé cette singularité : les machines derrière les deux guitaristes avaient toute leur place et n’étaient jamais travesties. Mais c’est devant elles que l’essentiel se passait, en particulier sur scène : Kbye et Bortek se démenaient pour donner corps à leurs morceaux. Jad Wio était, selon leurs propres dires, « un personnage à deux têtes » qui n’avait pas le souffle court.
Kbye et Bortek n’auront pas fini de s’inventer depuis, chaque disque ou presque étant prétexte à l’exploration de nouveaux territoires. Pour ma part, c’est le Jad Wio originel qui m’a toujours davantage plu, peut-être parce qu’il proposait un rock à la fois très familier et totalement étrange, un rock aux tons mordorés, énergique autant que suave. Et c’est tout ce dont on avait besoin en cet été 1985.
A écouter également
- The Ballad Of Candy Valentine (12’’ single, L’Invitation au suicide ID9, 1984)
- Live à la Dolce Vita (live en Suisse, 7.12.1985, LP, Helvète Underground records (sic !), Hend 86004, 1986)
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