mercredi 18 juin 2008

THAT PETROL EMOTION : End Of The Millenium Psychosis Blues


LP, Virgin V 2550, septembre 1988


Deux ans avant la parution de leur chef d’œuvre (Chemicrazy, Virgin V 2618, 1990) End Of The Millenium Psychosis Blues laissait deviner que That Petrol Emotion avait trouvé la voie royale. Après deux albums sur lesquels énergie punk rock et psychédélisme se tiraient la bourre et quelques singles qui laissaient entrevoir une volonté de lorgner vers le funk, ce troisième volume est à la fois une sorte d’aboutissement logique du parcours des Irlandais en même temps qu’un formidable bond en avant.

En passant de Polydor à Virgin, le groupe semble avoir décidé de jeter sur le vinyle douze titres qui seraient la synthèse des influences du groupe et leur table des lois pour les années à venir. La furie des débuts n’est pas totalement absente (« Candy Love Satellite ») mais les trois premiers morceaux annoncent un groupe nouveau, plus posé. « Sooner or Later », « Every Little Bit » et le très celtique « Cellophane » les voient adopter un mid-tempo plutôt rare jusqu’alors dans la discographie du groupe. Les guitares de l’ex-Undertones John O’Neill et de Reamann sont restées inventives et pyrotechniques, et elles occupent toujours l’essentiel de l’espace. Mais c’est indubitablement l’influence de la soul et du funk qui se fait sentir ici, par les chœurs comme la rythmique sur la plupart des titres… quand il ne s’agit pas d’un abandon complet aux lois du genre (« Groove Check », « Here It Is… Take It !», « Tension »). La voix de Steve Mack affirme plus nettement sa singularité sur cette collection finalement assez bigarrée de morceaux où l’on retrouve leur goût pour Can comme pour Funkadelic, les Stooges ou Pere Ubu. Et si la chose politique ne leur est pas dzevenue étrangère (il suffit d lire le texte imprimé sur la pochette intérieure pour se rassurer sur la question), c’est en une formidable machine à danser que le groupe commence à muer.

Deux après, ce sera donc Chemicrazy. Des quatre singles qui seront tirés de l’album, au moins trois auraient mérité de connaître un succès planétaire : les cinq membres de That Petrol Emotion avaient réussi une synthèse unique entre le meilleur dix ans de punk rock et le meilleur de la musique noire. Mais il n’en a pas été ainsi et le groupe s’est séparé après un ultime essai, moins convaincant en 1993. Ils se reforment ces jours-ci pour une série de concerts et comme l’affirme Steve Mack, étonné par la fraîcheur de morceaux datant d’il y a plus de quinze ans pour la plupart et s’inspirant d’une publicité pour un livre : “They’re back. And they were right about everything.”


Singles extraits de l’album

  • Cellophane (7’’, 12’’, Cd single, Virgin VS 1116, septembre 1988)
  • Groove Check (7’’, 10’’, 12’’, Cd single, Virgin VS 1159, 1989)

A écouter également

  • Live (San Juan Capistrano, Coach House, 1987 ?, mini LP, Mansfield MANS 1988, USA)

jeudi 15 mai 2008

JAD WIO : Colours in my dreams

Mini LP, L’Invitation au suicide ID 15, été 1985

Jad Wio ou l’art du mix. En 1985, lorsqu’ils publient ce premier (mini) LP sur l’impeccable label havrais de Yann Farcy, Kbye et Bortek surprennent et se distinguent par leur capacité à créer un rock bigarré, produit de multiples influences que l’on n’imaginait pas forcément conciliables. Jad Wio, tout d’abord, c’est l’Orient et l’Occident. Leurs compositions fortement influencées par le rock américain de la fin des sixties (nous y reviendrons) sont ainsi discrètement teintées de touches arabisantes (le refrain de « Taiba » mais aussi les intonations de Bortek). L’anglais et l’arabe, donc, enregistrés et mixés à Paris en février 1985. Les deux membres du groupe ont passé une dizaine d’années au Maghreb où ils se sont rencontrés, et « Taiba » rend compte du choc des cultures : « taiba wa safara wa hallah khamulilah…. » sur fond de guitares électrisées. Comme un fait exprès, c’est sur la reprise du "Paint in Black" des Stones que la double influence est plus lisible encore : les guitares de Kbye semblent reprendre les choses là où Brian Jones les avaient laissées lors de son passage parmi les musiciens marocains du Joujouka. Pour autant, leur Orient au goût d'opium est largement fantasmatique, tel celui qu’on put rêver les artistes du XIXème siècle, comme le suggère la pochette du disque.

Jad Wio, c’est aussi la confrontation du meilleur de la musique des sixties (le garage rock et le rock psychédélique) aux sonorités des années 80. Derrière les vocaux de Bortek, les titres ultra référencés (« Colours in My Dreams », « Walk In The Sky With Diamonds »…) et les guitares acérées et tourbillonnantes de Kbye, c’est une rythmique ouvertement synthétique qui officie. « There are no synthetisers on this record » proclament-ils, néanmoins, fièrement sur la pochette intérieure du disque ; certes : ce sont ces guitares très en avant qui définissent le son de Jad Wio. Les fixations psychédéliques particulièrement sensibles à l’écoute des paroles sont elles passées à la moulinette énergisante punk. Au final, les cinq titres de ce mini album sont un condensé de goûts sûrs, d’élégance et le disque dégage une force qui est restée intacte avec les années. Jad Wio était un duo et l’une de leur très bonne idée est d’avoir sans cesse affirmé cette singularité : les machines derrière les deux guitaristes avaient toute leur place et n’étaient jamais travesties. Mais c’est devant elles que l’essentiel se passait, en particulier sur scène : Kbye et Bortek se démenaient pour donner corps à leurs morceaux. Jad Wio était, selon leurs propres dires, « un personnage à deux têtes » qui n’avait pas le souffle court.

Kbye et Bortek n’auront pas fini de s’inventer depuis, chaque disque ou presque étant prétexte à l’exploration de nouveaux territoires. Pour ma part, c’est le Jad Wio originel qui m’a toujours davantage plu, peut-être parce qu’il proposait un rock à la fois très familier et totalement étrange, un rock aux tons mordorés, énergique autant que suave. Et c’est tout ce dont on avait besoin en cet été 1985.

A écouter également

  • The Ballad Of Candy Valentine (12’’ single, L’Invitation au suicide ID9, 1984)
  • Live à la Dolce Vita (live en Suisse, 7.12.1985, LP, Helvète Underground records (sic !), Hend 86004, 1986)

lundi 21 avril 2008

ECHO & THE BUNNYMEN : Heaven Up Here

LP, Korova KODE 3, mai 1981

Liverpool une fois encore, mais avec les Bunnymen, l’un des groupes les plus marquants de la décennie tant par la force et l’originalité de sa musique que par l’irréprochable tenue de ses enregistrements pendant les 5 premières années de son existence. A l’heure de choisir un album parmi les quatre publiés par le groupe entre juillet 1980 (Crocodiles) et mai 1984 (Ocean Rain), il est difficile de dire lequel affirme la singularité des hommes lapins. Heaven Up Here, deuxième long player, est le plus sombre des quatre. La musique des Bunnymen, basée sur une rythmique énergique et répétitive d’une grande inventivité et des jets de guitares tranchants sur lesquels se pose tant bien que mal la voix chaude et traînante de Mc Culloch trouve sur cet album une sorte de plénitude, aboutissement du travail accompli par le groupe depuis une quinzaine de mois. L’influence conjuguée de garage rock américain des années 60 et des ambiances psychédéliques des Doors est sur cet album parfaitement maîtrisée. Elle permet au groupe de mettre en place un climat hypnotique et étouffant d’une grande originalité, toile de fond parfaite à l'expression d'un spleen existentiel propre aux années 80.

« Over The Wall », « A Promise », «All My Colours, les morceaux les plus forts du disque donnent le ton d’un disque dont rend bien compte la pochette « magritienne » qui signale tout à la fois une ambiance crépusculaire et de lointains horizons, une grande solitude et un élan collectif. Sur quelques accords de guitares comme sur des roulements de tambours, la voix de Ian Mc Culloch semble le plus souvent à l’agonie : « My Life’s a disease, that could always change, with comparative ease… (« The Disease ») / I can't sleep at night, Come on and hold me tight...Hold me tight, To the logical limit... (“Over The Wall”). Même un titre qui pourrait marquer un apaisement, “A Promise”, dont les parties de guitare très lyriques tranchent avec le reste des morceaux, procure une sensation de malaise : Mc Culloch semble pousser sa voix aussi loin qu’il le peut et il avouera lui-même plus tard que ce morceau peut être considéré comme « le plus triste du monde ». Tout au long de l’album, c’est dans un climat sombre et opaque que s’épanche un Mc Culloch qui n’a peut-être jamais été aussi à vif, aussi direct -en dépit de paroles souvent très obscures – qu’ici, se débattant par exemple avec des idées aussi peu pop que l’honnêteté vis-à-vis de soi-même sur plusieurs morceaux. S‘ils ne peuvent être comparés aux textes de Ian Curtis, à la fois plus sombres et beaucoup plus romantiques, on retrouve parfois ce sentiment de perte, de malheur sous-jacent qui nimbait les morceaux de Joy Divison. Le groupe se reprochera par la suite un « manque d’humour » à propos cet album. C’est au contraire son unité de ton qui lui donne sa force. Sur scène, à cette époque, les Bunnymen jouaient en habits de camouflage derrière d’épais rideaux de fumées ; on les devine ainsi à l’écoute de ces onze titres qui ne vieillissent pas les uns à côté des autres. Et même s’il est l’album le moins vendu de l’histoire du groupe –peut être parce qu’il ne proposait aucun titre viable pour les charts, il n’en demeure pas moins le plus puissant, musicalement comme émotionnellement.

Single extrait de l’album

  • A Promise (7” & 12”, Korova KOW 15, juillet 1981)

A écouter également

  • John Peel session, BBC, 4 novembre 1980 (4 titres de Heaven up Here avant le travail en studio)
  • Shine So Hard (live in Buxton, 10 avril 1981 - 12”, Korova ECHO 1, avril 1981)

A lire

  • Never Stop – The Echo & The Bunnymen story, de Tony Fletcher (Omnibus press, 1987)

vendredi 18 avril 2008

THE PALE FOUNTAINS : Pacific Street

LP, Virgin V2274, février 1984

Il serait tentant de réduire les Pale Fountains à l’étiquette de Smiths de Liverpool : les guitares limpides et dynamiques comme la voix claire et haut perchée de Michael Head ne sont pas sans évoquer les mancunians (c’est particulièrement sensible sur le début de « Reach », qui ouvre l’album) mais la palette de sons et d’instruments présents sur ce premier album placent les Fountains bien loin devant Morrissey & Marr, au moins à cette époque.

Virgin, qui avait mis le paquet pour signer le groupe après leur premier single paru en 1982 (Something On My Mind, dont une nouvelle version est proposée ici) a donné les moyens à la pop colorée de Michael Head de livrer tout son potentiel. Le groupe a eu beaucoup de temps pour mener à bien ce disque et aux instruments de ses membres (guitares, trompette, claviers, basse, percussions, batterie, oil drums tout de même…) sont venus s’ajouter flûte et cordes. La grande force du groupe de son producteur Howard Gray est d’avoir réussi à ne pas sombrer dans l’excès : rien ici n’est boursouflé ou noyé sous les couches d’instruments. L’écriture légère, gracieuse de Michael Head est simplement enrichie par de fines touches d’une grâce absolue. Head n’est âgé que de 22 ans quand sort cet album mais il semble maîtriser l’écriture et l’art d’arranger des merveilles pop comme un vieux briscard.

Une coloration très sixties donne à cet album son unité qui s’impose pourtant à la première écoute par la variété des sons et des rythmes (on passe allègrement d’un rythme bossa à de la pop psychédélique). L’influence de Love saute aux oreilles, ne serait-ce par l’emploi de trompettes hispanisantes. Elle n’est pas la seule : ce sont les Mamas And Papas qui semblent s’inviter dans les années 80 sur « Southband Excursion »… qui précède un rhythm and blues qui paraît lui aussi venir d’une autre période («Natural»). Pour autant, les compositions ne sont en rien de pales copies des originaux : Head a fait siennes ses influences et pour décalées qu’elles soient en ce début d’années 80 où les expérimentations synthétiques et la rage froide du post punk avaient plus le vent en poupe que les sonorités exotiques ou les passages instrumentaux à la trompettes ou à la guitare acoustique, ses compositions n’en sont pas moins de leur époque. Dans un monde plus juste et plus soucieux de se faire du bien, le single Don’t let Your Love Start A War aurait dû avoir un succès monumental, « Something On My Mind » aurait dû se voir proposer une nouvelle sortie en simple et monter lui aussi bien haut dans les classements ; les lyrics doucement romantiques de Michael Head et la richesse des compositions et des arrangements auraient alors pu se dévoiler, au fil des écoutes, à un public sans cesse plus large. Il n’en a pas été ainsi et Pacific Street appartient plus à la catégorie des trésors cachés qu’à celle des disques qui ont bouleversé le cours de la décennie. Il n’en demeure pas moins que c’est un chef d’œuvre qui n’en finit pas de se révéler et qu’il ne serait guère surprenant qu’on dise enfin, un jour, son incroyable qualité. Combien de temps a-t-il fallu avant que l’on reconnaisse un Nick Drake ou un Chris Bell ? Et en plus, Michael Head est toujours vivant…

Singles extraits de l’album

  • Unless (7” & 12”, Virgin VS 568, janvier 1984)
  • Don’t Let Your Love Start A War (7” & 12”, Virgin VS 668, mars 1984)

A écouter également

  • Arthur Lee live in Liverpool 1992 ( Michael et John Head ont, presque dix ans après Pacific Street, accompagné Arthur Lee, le charismatique chanteur le Love, sur scène. Ce disque est l’enregistrement du concert donné à Liverpool en mai 1992- cd, Viper cd 003, 2000)